Robert Ehrlich répond sur l'aéromécavol

Comme tu nous y a invités sur volavoile.net, je suis allé visiter ton blog et en pariculier ce qui concerne la mécanique du vol et l'aérodynamique, qui sont un de mes dadas. J'y ai relevé une erreur malheureusement fort répandue concernant la façon dont une aile produit de la portance :
Citation
Le profil de l'aile a une forme particulière: l'avant est nommé "le bord d'attaque" et l'arrière le "bord de fuite". Passer d'un bout à l'autre en ligne droite, c'est ce que fait globalement le flux qui circule sous l'aile. Mais impossible de faire un trajet aussi direct par le dessus de l'aile: L'air doit contourner l'extrados… et un détour c'est plus long ! D'autant qu'il faudra absolument essayer de rattraper le retard, lequel crée donc une différence de vitesse entre les deux flux.

Cette différence d'itinéraire et de temps bouscule les flux d'air. Celui d'en haut tente donc de combler naturellement le retard se créant par rapport à celui du dessous pour arriver en même temps au bord de fuite. Le résultat est une accélération du flux supérieur dès qu'il est engagé dans ce processus "d'inégalité".


Il est parfaitement exact que la vitesse d'écoulement de l'air est plus élevée à l'extrados qu'à l'intrados. L'erreur. c'est d'attribuer cette différence de vitesse à la différence de distance à parcourir.

Aucune loi de la physique n'oblige deux particules d'air se séparant au bord d'attaque, l'une passant à l'extrados, l'autre qu'à l'intrados, à se retrouver au bord de fuite en même temps. En fait c'est faux, la différence de vitesse est telle que la particule à l'extrados arrive au bord de fuite avant sa petite soeur, malgré la différence de distance. On peut trouver une bonne illustration de la chose, maheureusement en anglais,
ici (tout le site, bien que ne concernant que l'avion, est cependant fort intéressant).

On peut illustrer l'invalidité de cette explication par deux contre-exemples :

1) différence de trajet sans différence de vitesse :

l'écoulement n'accélère pas dans le tuyau, pourtant le trajet est beaucoup plus long qu'à l'extérieur. Dommage, ce serait un bon truc pour faire des souffleries hypersoniques, et même pour dépasser la vitesse de la lumière puisque qu'on peut allonger le trajet autant qu'on veut, mais ça ne marche pas.

2) différence de vitesse sans différence de trajet :
Il existe des profils sans pratiquement d'épaisseur, comme les voiles des voiliers, parcticulièrement les voiles d'avant (focs) qui ne sont pas précédées d'un mât, ou les profils des premiers avions de l'histoire de l'aviation
comme celui des frères Wright
Pour ces profils il n'y a pas de différence de distance parcourue entre extrados et intrados, ce qui ne les empêche pas d'avoir une différence de vitesse entre intrados et extrados qui produit une portance.

La véritable explication tient à 4 principes de la physique :
1) l'incompressiblité de l'air aux vitesses qui nous concernent;
2) la conservation de la matière;
3) la forme de l'écoulement, détérminée entre autre par
3bis) la condition de Kutta;
4) le principe de Bernoulli.

1) L'incompressiblité de l'air, ça peut paraitre bizarre pour qui a déjà utilisé une pompe à vélo par exemple et constaté par là même combien l'air est compressible. Il faudrait plutôt dire que l'ai se comporte comme s'il était incompressible, tant que les vitesses concernées sont petites devant la vitesse du son, bien qu'il soit compressible. La différence entre la pompe à vélo et l'aile, c'est que dans la pompe à vélo l'air est enfermé alors qu'autour de l'aile il est libre. A l'intérieur de la pompe, l'air a encore un comportement incompressible, dans le sens qu'aucune différence de pression entre les différentes parties du volume n'apparait, à moins qu'on ne soit capable de pousser le piston à une vitesse proche de celle du son ou supérieure, ce qui ne laisserait pas le temps pas le temps à la surpression produite au voisinage du piston par son mouvement de se propager dans le reste du volume, cette propagation se faisant justement à la vitesse du son. De la même façon, dans l'air libre autour d'une aile toute différence de pression tend à être lissée par sa propagation à la vitesse du son, ce qui fait que l'écoulement se comportera comme si l'air était incompressible.

2) La conservation de la matière fait qu'on ne crée pas d'air et qu'on en fait pas disparaitre, tout l'air qui se trouve à un moment quelque part dans l'écoulement va se retrouver intégralement plus tard en aval. Donc si le passage se rétrécit, pour que la même masse d'air traverse dans le même temps un espace plus étroit, elle n'a le choix qu'entre deux possiblités : soit augmenter sa densité en se comprimant, soit augmenter sa vitesse. Dans le domaine subsonique qui nous intéresse, en vertu du principe précédent, c'est la deuxième solution qui prévaudra, en supersonique ce serait le contraire. C'est là qu'est la correction à l'erreur vue plus haut : l'air n'accélère pas parce que le trajet est plus long mais parce que le passage se rétrécit, inversement il va ralentir là ou le passage s'élargit.

3) On voit bien que, pour que l'écoulement suive le contour du profil juste à son voisinage, alors qu'il demeure pratiquement non perturbé quand on en est suffisamment loin au dessus ou en dessous, il faut bien qu'il y ait des endroits où les filets d'air se rapprochent et d'autres où ils s'écartent, donc des rétrécissements et des élargissements du passage, qui en vertu de ce qui précède s'accompagneront d'accélération ou de ralentissement. Cependant, tout en respectant ce principe, rien n'empêcherait un écoulement où il y ait autant de ralentissement que d'accélération, aussi bien coté extrados que coté intrados. En particulier dans le cas d'un profil plat sans épaisseur, on pourrait penser que la solution la plus "naturelle" pour l'écoulement est celle qui respecterait la symétrie amont-aval de ce profil :

là on aurait un rétrécissement suivi d'un élargissement à l'extrados, le contraire à l'intrados, et une répartition des pressions qui ne produirait aucune portance, mais seulement un couple de pivotement tendant à placer le profil perpendiculaire à l'écoulement. Heureusement il n'en est rien car :
3bis) cet écoulement ne pourrait se produire que dans un fluide parfait sans viscosité, c'est-à-dire sans forces de friction. Dans un fluide réel comme l'air, les forces de frictions empêchent l'écoulement de contourner le bord de fuite, alors que le contournement du bord d'attaque peut toujours se produire, c'est la perte d'énergie de l'écoulement par friction au voisinage de la surface du profil qui rompt la symétrie amont-aval et impose la condition que les filets d'air ne contournent pas le bord de fuite, condition mise en évidence par l'illustre physicien et mathématicien Kutta et qui porte donc son nom. Pour un profil plat avec incidence, l'écoulement réel ne pourra être que celui-ci :

on voit bien que dans ce cas il n'y a qu'un rétrécissement du passage à l'extrados et un élargissement à l'intrados, d'où la portance même pour un profil aussi mauvais que ce profil plat (même les avions en papier volent). Pour un profil performant, on tendra bien sur à favoriser cette condition de non contournement par un profil pointu au bord de fuite et au contraire à favoriser le contournement du bord d'attaque par un bord d'attaque arrondi. On pourrait se passer de cette dernière condition mais pour une seule incidence seulement, en ayant un bord d'attaque pointu dirigé exactement vers le point de séparation de l'écoulement entre intrados et extrados, mais ce point change avec l'incidence. Le bord d'attaque pointu se trouve sur les voiles de voilier, qu'on règle en changeant leur profil en fonction de l'incidence pour le maintenir toujours dans la bonne direction. C'est encore cette condition de Kutta qui explique les variations de portance avec l'incidence, pour respecter cette condition, plus forte est l'incidence, plus rétrécissement/élargissement doivent être importants, du moins tant que l'écoulement suit le profil. Inversement aux incidences faibles, pour un profil avec de l'épaisseur, on aura rétrécissement aussi bien à l'intrados qu'à l'extrados, plus important à l'extrados qu'à l'intrados tant que l'incidence reste supérieure à celle de portance nulle.

4) Le principe de Bernoulli lie variations de vitesse et variation de pression, quand la vitesse augmente, la pression diminue et vice-versa. C'est un conséquence de la loi fondamentale de la dynamique qui dit que toute masse soumise à une force est accélérée dans la direction de cette force, accélération qui peut être un ralentissement si la force est de direction opposée à la vitesse, une déviation si elle lui est perpendiculaire, ou une combinaison de deux des précédents en général. Dans notre cas, pour qu'il y ait accélération de l'écoulement, il faut qu'il y ait une force dirigée de l'amont vers l'aval, donc une pression plus élevée en amont qu'en aval, inversement pour un ralentissement. Donc la pression ne peut que diminuer là où l'air accélère (extrados) et augmenter là où il ralentit (intrados), d'où cette fameuse portance recherchée.

Voilà, je crains d'avoir été bien long et pas aussi ludique que tu le souhaiterais, tu en fais ce que tu veux, mais je pense que de toute façon il vaut mieux pas d'explication du tout qu'une explication fausse. Il vaut mieux se contenter d'un "c'est comme ça" que de propager une erreur, de toute façon, on finit toujours par là, le principe de conservation de la matière, "c'est comme ça", même chose pour la loi fondamentale de la dynamique etc.. Une explication ne consiste jamais qu'à remplacer un "c'est comme ça" par un renvoi logique à d'autres "c'est comme ça" qui peuvent paraitre plus faciles à admettre, c'est à chacun de choisir où s'arrêter en fonction de celui à qui il s'adresse.

Toutes les images que j'ai utilisées proviennent du même site :
http://www.av8n.com/, je ne sais pas quelles sont les conditons de ré-utilisation si tu veux les utiliser sur ton blog, je n'ai rien trouvé sur le site lui-même.
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