Liberté à tire d'ailes
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Comme de grands oiseaux de proie, les planeurs dessinent tout au long de l'année de majestueuses arabesques au-dessus du massif vosgien. Mais c'est l'été, quand la canicule nous cloue au plancher
des vaches, que ces ballets aériens nous invitent vraiment au voyage.
Et si la liberté était au bout des ailes ?
"Ca va mieux ?" Les cheveux collés aux tempes et l'estomac vissé aux talons, je me laisse tomber dans l'herbe drue et sèche de la piste d'atterrissage. Franchement, c'est un vieux souvenir de
fète foraine qui me noue la gorge. Arnaud Wodey m'avait prévenu : "même les pilotes confirmés ont parfois le mal de mer". Après une petite heure de planeur entre Colmar, le Markstein et La
Schlucht, j'ai l'impression d'avoir traversé la Méditerranée par forte houle. Le contact avec la terre me fait pourtant l'effet d'un retour de congés et très vite, l'envie de repartir me submerge
; grimper dans la carlingue et remonter tout là-haut, sous les nuages, pour me laisser glisser dans l'éther et la fraicheur du soir...
"Sur ta gauche, c'est la poignée du parachute, mais si nous devions sauter, il faudrait d'abord Èjecter la verrière avec cette manette au-dessus de ton genou droit..." : Arnaud Wodey a hérité de
ses ancÍtres irlandais un regard d'un bleu franc et clair qui met encore plus de poids dans ses consignes au moment du dÈpart. Il est 16h et des poussières ; le vent du nord balaie la plaine
d'Alsace de longues bouffées bršlantes et un soleil de plomb écrase l'aérodrome de Colmar-Houssen. Pour mon pilote et mon guide, c'est un temps idéal : "on devrait monter sans problémes à plus de
2000 métres..."

350 pratiquants en Alsace
Ce serait une grossiére erreur de croire que les planeurs sont dispensés de toutes les procédures de sécurité qui régissent l'aviation à moteur. Si le vol à voile bénéficie d'une forte symbolique
poétique, sa pratique n'en est pas moins régie par des réglements draconiens et les clubs vélivoles, comme celui de Colmar, sont tous placés sous la tutelle de la Direction générale de l'aviation
civile et de Jeunesse et Sports.
Pratiqué dés la fin du 19e siécle (le pionnier était l'Allemand Otto Lilienthal), le vol à voile a pris son essor aprés la premiére guerre mondiale. link
C'est une activité sportive et de loisir trés prisée outre-Rhin (50 000 pratiquants) qui s'appuie en France sur 167 associations pour un peu plus de 15 000 membres. En Alsace, les clubs de
Mulhouse-Habsheim, Colmar, Haguenau et Strasbourg regroupent 350 passionnés qui ont totalisé en1998 plus de 10 000 heures de vol sur une flotte de 66 planeurs.

Les fesses au ras du sol
"Si tu as trop chaud, ouvre le petit clapet d'aération..." : à moitié allongé dans l'étroit cockpit aussi spartiate qu'une armoire de caserne, les fesses au ras du sol et l'oeil rivé sur le câble
qui nous relie à l'avion de remorquage, mon attention est bientôt focalisée sur l'étrange sensation de vitesse qui nous gagne au moment de l'envol.
Je me rends compte que mes pieds touchent pratiquement le bout du nez de l'appareil ("dans un biplace, les passagers sont toujours devant...") et j'ai subitement le sentiment d'être couché sur
une luge tirée par un hors-bord. Décollage ! C'est bref - une poignée de secondes - et étrangement silencieux : pendant quelques instants, je suis métamorphosé en cerf-volant, comme si toutes mes
fibres étaient happées par le vent et retenues en l'air par ce long filin qui ondule un peu plus bas devant nous.
Je fais corps avec la machine : je flotte !
Plus de cordon ombilical !
"Largage !" : à 350 métres, Arnaud coupe le cordon ombilical. Sous nos pieds, le vignoble épouse le relief des sous-collines vosgiennes comme un magnifique jardin à l'anglaise. Derriére moi la
voix calme et rassurante de Arnaud rompt un silence bienfaisant : "pour un pilote de planeur, le jeu c'est de rester en l'air et de convertir son altitude en distance. Il faut vraiment bien
observer le ciel et profiter des phénoménes aérologiques..." Enjoué : "Nous allons essayer de monter sous ce gros cumulus droit devant : gros comme il est, il doit lever des
briques..."
Les cadrans devant moi attirent mon regard comme des aimants : 800 métres, 1 500 métres, 2 200 métres... A la recherche de courants favorables, nous tournons en rond pendant un gros quart d'heure
: les longues ailes de notre planeur ressemblent à des aiguilles d'une énorme montre bloquées sur 7h10. "En quelque sorte, nous faisons le plein !" Sous le cumulus, "sommet des ascendances et
providence du pilote", la température sous la fine verriére de plexiglas chute de 40 à 12°.
A l'ombre du nuage, je respire. Libéré. Sereins...
Ravi de faire partager une passion dévorante, Arnaud est visiblement aux anges. Moi aussi : depuis une bonne demi-heure, ce météorologiste de 39 ans dirige notre "Marianne" (envergure : 18
métres) au-dessus des crÍtes avec une finesse et une précision d'horloger et il sait faire partager son plaisir au néophyte qui à l'avant dévore le paysage des yeux. Nous filons une moyenne de
110 km/h et la vision rare et inhabituelle du Hohneck, puis du Markstein s'imprime dans ma mémoire.
Je suis gagné par la sérénité de mon pilote autant que par la beauté du paysage. Et un peu grisé par la vitesse. Par la vallée de Munster, nous piquons encore sur le Hohlandsbourg : notre oiseau
file maintenant à 180 km/h et fond sur le ch’teau comme un souffle. Droit devant, l'aérodrome de Colmar-Houssen se rapproche et grandit sans un bruit. Seul le cliquetis d'un c’ble de commande me
tire subitement de ce féerique songe d'une nuit d'été. Aprés une derniére courbe d'une esthétique irréprochable, notre grand oiseau blanc se pose avec noblesse sur son tapis végétal. Loin devant,
tout au bout de la piste, une jeune pilote, chiffon à la main, bichonne son planeur comme on bouchonne un pur-sang...
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voici vers un vol de vrai liberté, uniquement pour pilotes curieux link
Jean-Marc Thiébaut © Derniéres Nouvelles D'Alsace, Lundi 9 Août 1999.